"Faits et gestes" 2012.

David Jouin, depuis sa formation aux Beaux-arts de Quimper, n’a cessé de questionner le monde du travail. Ce jeune artiste rouennais fasciné par le geste et sa répétition, a recours à la fois à la vidéo, au captage et montage de sons, à la photographie ou à l’installation. Chacun de ces médiums entrent en résonance pour créer des œuvres où les codes du travail manuel, après avoir été analysés et décortiqués, sont revisités.
En mars 2009, l’artiste répond à une commande de la Galerie écart à Osnabrück en Allemagne et crée une installation baptisée PlastikWork, qui sera déclinée d’octobre à décembre 2009 en un deuxième tome au Satellite Brindeau au Havre. Dans ces deux expositions, l’artiste cherche à rendre visible l’activité des travailleurs de l’ombre et décompose en mouvements chorégraphiques les gestes des agents de voirie. En mars 2010, la galerie associative La Ruche à Sotteville-lès-Rouen l’accueille pour une résidence en collaboration avec Aurélie Sement formée aux Beaux-arts de Rouen avec qui il partage cet intérêt pour le monde du travail. Ils réalisent ensemble Diagnostic : une série de huit vidéos confrontant le quotidien des résidents de la maison de retraite attenante aux activités du personnel. Puis en avril 2011, l’artiste répond à une commande de la bibliothèque Simone de Beauvoir à Rouen. Il travaille à cette occasion sur le thème des conditions de travail et révèle la portée esthétique du mouvement de l’ouvrier dans une exposition baptisée Manœuvres. Le plasticien entame actuellement un nouveau cycle de réflexion, étudiant conjointement les notions de trame, de cycle ou de linéarité. 
SURFACES RÉFLÉCHISSANTES Alors qu’il étudiait aux Beaux-arts de Quimper, David Jouin travaillait comme agent d’entretien pour financer ses études. En tant que technicien de surface, il concentre son attention sur le sol, piétiné mais ignoré, qu’il cherche dès lors à rendre visible. Au cours de son exposition à la bibliothèque Simone de Beauvoir, couvert de papier bulle, le sol devient interactif. Le spectateur est invité à le redécouvrir et se l’approprier en créant un espace sonore rythmé par les crépitements de ses déambulations.  
LA MÉMOIRE DU GESTE Dès ses premières séries photographiques, son travail se focalise sur les gestes. Il y met en scène des acteurs en tenue de chantiers reproduisant les actions des ouvriers mais dépossédés de leurs outils. Cette série de six photographies, intitulée Gestes statiques, fixe des mouvements suspendus et décontextualisés. Interpellé par les attitudes des ouvriers de la voirie, il tente d’en décrypter les chorégraphies révélant les liens tacites entre le geste fonctionnel et l’esthétique de la danse. Cette recherche donne lieu à une performance filmée dans laquelle l’artiste invite une danseuse classique à interpréter les mouvements de l’ouvrier. Le corps devient donc lui-même outil et l’artiste met l’accent sur le caractère hybride du geste.  
ÈRE INDUSTRIELLE, ÈRE INDUSTRIEUSE Clin d’œil aux Temps modernes de Chaplin, le monde du travail interfère avec le quotidien dans l’œuvre de David Jouin. Deux moniteurs vidéos placés côte à côte, présentent un coiffeur réalisant une coupe dans son salon de coiffure, puis reproduisant ces mêmes gestes sur un bouquet de fleur placé dans le salon de son appartement. Jouant sur le double sens du « salon » - lieu privé ou lieu de travail - l’artiste transpose la pratique professionnelle à l’espace intime. Le geste devient alors destructeur ; suivant le même rythme et avec la même application sérieuse, le coiffeur détourne son savoir-faire en une activité dérisoire.
VALORISATION DE L’OUTILL’outil de travail est pour David Jouin, le prolongement de la main : pour cela l’artiste lui accorde un statut particulier. Parfois monumentalisé ou l’objet d’attentions déplacées - tel le balai à frange tressé par un coiffeur- il peut également être thermoformé. L’artiste choisit donc d’appliquer une technique de production de masse à la création d’un objet unique détournant les codes de la société de consommation. David Jouin ne s’intéresse pas seulement aux outils d’entretien mais à la saleté elle-même triant le contenu d’un sac d’aspirateur dont il parque les moutons de poussières dans un enclos matérialisé au sol par un ruban adhésif (emprunt à la signalétique des chantiers). Comme dans l’Élevage de poussière de Man Ray, la saleté devient objet et acquiert un nouveau statut : existant pour elle-même et sortant de l’ombre.
Elodie Laval, Historienne d’art
Correspondante locale de presse
Paris-Normandie édition de Rouen rubrique culture